Ne suis-je

Ne suis-je pas en train de me perdre ?
Pendant que je marchais, attentif à chaque ombre, à chaque couloir qui s’ouvrait, à chaque lumière renversée qui faisait apparaître le ciel, la ville s’est transformée en foisonnement calme autour de moi. Il ne manque pas de soleil, ni d’une planche de bois chaud accueillante au bord d’un ruisseau. Tous les arbustes sont recouverts de fleurs blanches ou étirent leurs branches luisantes et gonflent leurs bourgeons.
J’attendais monsieur Temps. Il me donnait rendez-vous tous les jours quelque part. Je le devinais s’approchant. Ou n’était-ce pas moi qui passais sans le savoir près de lui ? Je le portais, je l’avais inventé. Il n’était pas dans mon regard mais dans mon sommeil, et peut-être dans mon estomac : je le mangeais comme on mâche un brin d’herbe, comme on se nourrit d’amour et d’eau fraîche, comme on se laisse aller à jouir. Je lui trouvais les chemins de traverse où le rencontrer. J’avais bâti toute cette histoire pour savoir où j’habitais, pour faire de moi un habitant parmi les autres jusqu’ici tellement disparates entraperçus au hasard des rues, entendus à la radio, rencontrés sur un oreiller, sortant des pages d’un livre, flottant comme de grands oiseaux, blancs, noirs, descendant les marches, venant s’asseoir avec moi sur un porche. Et nous marchions dans cette ville, en la construisant à mesure, en découvrant les ruelles et les avenues qui la traversaient, et celles qui nous traversaient tout aussi bien. Cette forêt.
Je me sens bourgeonner, comme un rameau repu de nourriture et de sommeil qui s’éveille doucement à la fraîcheur parfumée du printemps.

Lithographie de Constant

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