Le blues

Je suis revenu dans la rue où nous étions passés, hier, j’ai repoussé la porte du café des compères, j’ai revu le houppet de romarin en sortant. Il n’y avait pas de soleil, un temps gris jusque dans mes pensées, d’ailleurs il allait pleuvoir, aussi dans mon cœur : je ne retrouvais pas grand-père. Je n’en étais pas surpris, je ne le cherchais pas, j’étais bien le seul à pouvoir le conduire ici et je venais de décider que je ne le ferais plus. J’avais compris son désir d’errance, j’avais… j’ai toujours… l’intention de le laisser s’effacer du paysage. Je décide de ne plus le harponner avec un gros titre comme je l’ai fait hier. Bien sûr il va pleuvoir. J’entends rouler un coup de tonnerre, et pourtant les nuages se mettent à rire — dans mon cœur. Je sais que grand-père n’est pas là, il est ailleurs. Là il y a cet océan de nuages qui vient prêter ses couleurs à la ville, son souffle à la rumeur du trafic, j’entends les oiseaux qui percent cette toison molle où ils dormaient. C’est peut-être un merle qui se fait entendre jusqu’ici dans les rues de la ville, qui coud de fil noir et or des chemins brodés. Il est encore tôt.
Monsieur Nuit m’a réveillé tout à l’heure, il avait faim — il mange dans la vase, il doit aimer le temps humide, il attrape peut-être du plancton marin porté par les nuages. Des grands goélands viennent aussi, tout blancs avec du noir sous le bout des ailes et ce vol paresseux et décidé pourtant, cette autorité naturelle qu’ils ont dans le ciel. Je privais grand-père de tout cela, harnaché au gros titre comme avec une ceinture de sécurité. Il va où il veut maintenant. Les galères ne sont pas pour lui. Il y en a tant.
En Nouvelle Calédonie, en Nouvelle Angleterre, à New York, New Jersey, Saint-Pétersbourg, Saint-Pierre et Miquelon — ça veut tout dire, ça veut dire Le large, là-bas, aux confins — à Péta ou Chnock, à saint Pierre ou saint Michel, aux portes du Paradis. La mer, le ciel et les galères, à chanter en refrain. Le cri de mouettes, le chant du rossignol. Un silence, et puis des cloches. Une lourde cloche résonne. Il est très tôt pourtant. Et puis plus rien. Dieu est mort. A cinq heures. Chanson. Tout finit par des chansons. Un petit moulinet aigu d’oiseau revient. Tout s’engouffre dans les chansons comme dans la dépression. Le blues. C’est si beau. Il n’y a rien au-delà. Seulement le trou noir. Miquelon, New Zealand, Vendôme…

Myra Coppey

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