Un différend

Le soir je cherche mon lit. Dans quelle immensité je me trouve ! Fenêtres, corde, lianes de la forêt… je ne ferai pas la description de tout ce que contient l’univers — qui contient tout — pour dire où je me trouve. Seul le hasard me donne à voir, et à penser.
Ou sauter sans attendre dans la première pirogue qui voudra bien d’un passager.
Quand ce ne sont pas les serpents qui me prennent aux jambes et me font courir. Monde ! tu es grand et impitoyable, t’habiter ne se discute pas.

Elle, le dos collé à un arbre.
Un différend, dit-elle.
Un plan de cinéma. Elle assise jambes repliées, le dos contre le tronc de l’arbre, ses genoux presque à hauteur de la poitrine. Pas de poitrine. Elle ressemble à un garçon, c’est ce que je lui dis tout en pensant le contraire, car à la fois je l’ai sentie fille dès que je l’ai vue, de loin, et je la vois garçon, me montrant séduit par son look androgyne, cheveux courts, jean déchiré, baskets délacés, corps escamoté comme un poisson qui referme promptement ses ouïes, gardant en elle tout de la fille, ses parfums, ses couleurs, mais n’en laissant rien voir ni sentir. Moi, recherchant sa complicité plus que sa séduction — de mon côté, je cache le garçon. Marivaudages d’adolescents. Son devenir-fille, comme mon devenir-garçon, s’ils ont lieu pourront prendre du temps. Elle n’est pas assise sur le trottoir à l’arrêt du bus, nous nous trouvons sur un chemin forestier. Les musiques dans ma tête sont plutôt Haydn ou Mozart que rap, métal ou chansons que j’ignore complètement.
Le scherzo, ou la rengaine, ainsi clos, le mouvement suivant se doit de reprendre les thèmes sérieux, serioso, que j’avais en tête avant de me laisser distraire. Mais ils m’apparaissent maintenant véritablement solitaires sous leur drapé d’universel. Pourtant, ce qui préoccupe mon crayon sur le papier c’est mon chemin d’argile de poussière d’étoile. Tout le reste n’est qu’imagination.

J’ai retrouvé mon costume de rat dans un coin. A peine le temps d’y penser je suis dedans à nouveau. Il me va des pieds à la tête comme un gant. Je me tais. Je m’endors dedans. Je sais qu’un rien me réveillera. J’irai partout, furtivement. Je suis partout chez moi. Je suis noir, je suis blanc, je suis transparent. Je suis mimétique comme un caméléon. Je suis avide de mon environnement, des phrases autant que des lieux. La musique me subjugue, celle que je fais autant que celle que je suis. Mais le joueur de flûte est mon maître redoutable, je le suis aveuglément. Au dernier moment il faut que je saute hors de mon costume pour me sauver.
Avec une robe ou un parapluie.
Nous nous mettons d’accord sur le titre, elle et moi.
Et je la quitte pour l’écrivain, dont le prénom se trouve être un palindrome, en six lettres (trois différentes : ABCCBA). C’est un livre de philosophie politique. Le dialogue, avec tout ça, s’est établi. Peu importe que je n’aie pas trouvé mon lit.

Effraction, de Marie Hubert

4 réflexions sur “Un différend

  1. J’ajouterais au commentaire précédent
    une affection toute particulière pour
    « Pourtant, ce qui préoccupe mon crayon sur le papier c’est mon chemin d’argile de poussière d’étoile. Tout le reste n’est qu’imagination. »
    le plaisir de la promenade et la menace de la flute.

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  2. c’est drôle, c’est comme un rêve

    et c’est doublement drôle, car j’avais retenu la même phrase que Aunryz à propos du chemin d’argile… c’était très beau cette phrase…

    (argile issu de l’altération de certains types de roches, pas de toute la Terre, sinon on glisserait tout le temps en gravissant les collines… ! clin d’oeil)

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