
Monsieur Temps m’a annoncé qu’il allait apprendre à sauter en parachute. Il a remonté sa veste au-dessus de sa tête, bras tendus, pliant un peu les genoux, plissant à peine les yeux avec l’air de regarder dans le vague défiler le ciel devant lui. J’ai aussitôt compris. Vous allez sauter en parachute ? je lui demande. Je vais apprendre, ce sera pour moi l’ouverture d’une nouvelle vie. Nous dialoguons parfaitement bien par l’échange de nos pensées ; et je n’ai aucune inquiétude, cela pourra continuer. Je ne le retiens pas, et comment le pourrais-je ? Il peut partir faire ses premiers pas sur la terre ferme. Nous ne nous perdrons pas, nous sommes ensemble pour l’éternité.
Je m’inquiète tout autant de monsieur Nuit. Lui aussi doit bien avoir quelque projet.
Le dos de la mer pour monsieur Nuit. Tout comme le dos de la rivière.
Je prends le papier que je pose sur le tapis sombre. Cette petite épaisseur de feuilles c’est ma planche de salut. Je reste allongé sur elle, sur le dos de la mer, sur le dos de la rivière. Il m’aide à m’endormir, il m’aide à me réveiller. Je prends le crayon comme une perche, comme une godille. C’est presque l’image de monsieur Nuit que je viens d’avoir dans mon rêve : il avait une longue perche, il triait des ballots sur l’eau de la mer, les poussait, les tirait de la profondeur, de la surface de la nuit ; il les assemblait, les dissociait, les rapprochait, me les tendait, c’est ce qui faisait mon lot, mon terrain, mon chemin.
Je me raccroche peu à peu à la surface, qui s’est affermie brusquement au réveil. Je ne titube plus. Je suis moi-même le dos d’un lourd crapaud mais je peux me mettre debout ; je fais en quelques secondes le parcours de toute l’évolution des espèces pour me mettre debout. Le jour n’est plus hostile. Ou du moins je ne suis plus sans armes.
Mais qui parle de guerre ?
Collage de Marie Hubert
Une rame, j’ai vue. Une petite rame en forme de crayon. De quoi descendre la rivière…
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j’ai retenu moi aussi l’image du crayon pareil à une godille pour circuler à la surface de la feuille comme à la surface d’une rivière calme, mais qu’arrivera-t-il si tout s’agite et se brouille et si l’orage violent survient ?
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Chère Françoise, vous soulevez pour la deuxième fois cette inquiétude. Cherchant à vous répondre, je retrouve ce poème que j’écrivais il y a cinquante ans :
J’aime la vie de ma godille
dans les écumes de la poésie
dans les folles et les fantastiques
écumes qu’elle remue
je l’aime à pleine colère
plein espoir d’un jour vivre MOI-MÊME
QUAND UNE LAME DE FOND M’OUVRIRA
Ce qui m’est apparu tout de suite c’est l’éclatante blancheur de ces écumes se confrontant à l’inconnu du gouffre obscur — à l’époque je les percevais folles et fantastiques, donc en couleurs plutôt que noir et blanc —, un enjeu d’existence franchissant mort et vie me fascinait.
Aujourd’hui je baigne dans la mangrove aux goûts infinis et subtils où tout peut se mêler.
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dans cette perspective il y a l’idée de choc frontal, donc puissant, aussi l’idée de noyade, d’abandon, de voyage… et pour finir cette zone où tout se fond
merci pour cette magnifique réponse
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J’aime bien ces proximités passerelles d’un lieu de mots à un autre
qui demande à la perception de faire de petits bonds.
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