Dans la petite rivière, il ne pouvait pas ne pas y vivre des poissons. Ils ne pouvaient pas, maintenant dans la tiédeur de la nuit, se réfugier ailleurs que dans le corps nu, agité, qui remuait sur mon lit, puis roulait sur le tapis, et rampait, se tordait en soubresauts le long des murs, s’agrippait à une fenêtre pour happer un peu d’air humide qui se rassemblait dans le noir. L’air sentait la sardine en boîte que j’avais achetée le soir pour satisfaire la voracité que je sentais me gagner le ventre.
Mes bras, mes jambes avaient maintenant des battements de poisson et c’est ainsi que je comprends le mouvement de voyage dans lequel je suis entré. J’ai cherché la lune décroissante et paresseuse que je guettais ces derniers soirs, à l’est, de plus en plus tard. Elle ne perce pas cette sorte de toison bleu noir uniforme.
Que j’aie renoncé à manger du poisson, des animaux quels qu’ils soient, des œufs, ne me guérit pas de l’emportement dans le fleuve des corps, m’apaise seulement, régularise le cours du transport. J’apprends là que ce n’est plus un voyage. Les frères Quatrecôte m’avaient prévenu. Et quelque part est la Voie Lactée — qui mange du lait, et m’attirera dans ses filets.
La Grande Ourse en tête des constellations ne m’a pas invité en vain ces derniers soirs, puisque je viens de me retrouver dans les jambes d’un immense pantalon en train de se découdre et me donner une longueur rêvée de tissu dans lequel je pourrai allonger mon pas de géant si nécessaire.

Paul Klee, Women in their Sunday best, 1928

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