Je trotte avec les pattes de devant et les pattes de derrière, chacune à son tour. Mais je ne veux plus en parler.
Je me prends les sabots, je titube, c’est que la tête qui regarde les pieds figurés sur la partition a du mal à suivre, à se coordonner souplement parce que les yeux, tout simplement les yeux sont défaillants. Les lunettes ne sont plus exactement appropriées, ophtalmo, examen, ordonnance, opticien, remonter en selle au petit trot, au galop, pour demain, pour un temps, je ne vais plus en parler. Laisser tout ça se déglinguer, bricoler, remailler comme faisait mon grand-père avec les mots, sans la tête, sans les pieds, sur les mains, apprendre par cœur, rester tout seul, comme on a toujours été, finir à la casse.
Et là, bouger encore, parmi les herbes, les lézards, les mouches, la nature qui recommence son harmonie sans nous, sans toi tout aussi bien, ça chante, ça frelonne, ça bourdonne, c’est un beau chantier. Mourir dans un jardin c’est une chance.
Et voilà qu’un petit cerveau roule comme une perle entre les doigts, joue avec un autre bientôt, rejoints par une oreille, une feuille d’herbe, une source, ils font leur propre chanson. Un cerveau qui n’est plus prisonnier, qui volette entre les pierres, a oublié son crâne, resté quelque part dans un fossé, enchanté, débarrassé de son poids le voilà qui fredonne lui aussi et retrouve bientôt sa voix tonitruante, ses coups de trompette qu’on entend de loin, et puis se rendort, se laisse bercer un peu par les autres.
Et le cheval qui revient mettre ses pas dans le plat, lui qui ne sait rien faire d’autre que brouter, sauter, trotter et gambader. C’est un vrai chantier, tout le monde est un peu dépassé, se grimpe, se monte, se grignote, tire son épingle du jeu pour mieux vous piquer.

Jérôme Bosh, La tentation de saint Antoine, détail
Mon grand-père remailleur d’histoires :
https://contesparenethibaud.blogspot.com/2024/01/princesse-la-galette.html
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