Je repasse vers cet endroit mais de plus près cette fois. Là où chaque pas me coûte, chaque geste m’épuise, mon cerveau lutte pour ne pas être absorbé, embourbé dans cette masse noire du découragement. Je tire mes jambes vers le haut, remets à grand peine mes mains à leur place sur les touches. Je suis déjà passé par là, cet endroit me semble inévitable. Il ne faut pas s’y attarder. Les lunettes me giclent du nez, la main manque, le cœur veut se fermer, les paupières tombent. Je refais lentement — je tente — les gestes familiers, l’un après l’autre, peu à peu je passe le plus fort de l’endroit. Je n’ai pas eu un regard vers lui, j’ai fixé droit le chemin malgré les jambes qui tremblent, se dissocient. c’est un endroit très fort, un jour je crains d’accepter son refuge. Monsieur Nuit, monsieur Temps, leurs manteau noir, costume gris resteront sur la berge, sans moi. Je les aurai revêtus cependant, de mon mieux.
J’appelle mes yeux, puis-je les attiser encore, m’atteler derrière eux, leur donner du fouet, de la bride. Ou dois-je les laisser au repos, me contenter du par-cœur sans déchiffrer de nouvelles partitions. Je ne sais presque rien encore. Et l’important c’est de conquérir, de grignoter un peu de ce que les hommes ont donné déjà, sans parler des femmes, des hommes mêlés aux femmes ; ce serait d’aller jusqu’à elles, surtout, jusqu’à la racine de l’effort. Car eux se contentent très bien du par-cœur — de l’esbroufe. Et je suis de leur côté. Je me décroche. Je m’en sors comme ça. Je passe.

Peinture de Afifa Aleiby, Abandonment, 1986

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  1. Bonjour, nous découvrons votre blog et surtout vos textes par l’intermédiaire de l’une de nos auteure, Adèle N. Nous souhaiterions vous proposer de contribuer par vos textes à l’un de nos numéros de la revue « margelles » (Bruno Guattari Editeur). Si cela vous intéresse voici nos coordonnées : brunoguatariediteur@gmail.com. Cordialement.

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