La rivière ce matin — et je comprends maintenant pourquoi depuis tant d’années — me surprend, arrête net mes pensées. Elle n’a pas de mouvement, elle n’a pas de couleur qui porte un nom. Elle serait comme une plaque, sans reflet, d’un métal jaune d’œuf si cela pouvait tomber du ciel sans prévenir sans bruit sans précédent mais être là subitement et refuser toute familiarité. Et non pas étrangère car c’est elle l’habitante. Comme si vous faisiez irruption en ses lieux. Souveraine sur tout ce qui paraît à la vue. Elle ne vous chasse pas, vous vous chassez, honteux, impatient de finir de traverser le pont sans avoir perdu la raison, perdu la tentative d’arraisonner la déesse reine barbare avec des mots que l’on cherche encore un bout de temps sur le chemin parmi les passants ou les klaxons et la petite détresse toute nue de soi qui n’a pas de nom, pas davantage qu’elle.
L’étrange côtoiement que cette rencontre que tant de pas, tant de ponts de pierre, de bois, de fer, tant de mots n’entament jamais.
Après le passage des deux — sans nom — un mélange d’eau et de ciel s’est doucement étalé dans l’appartement, le cheval piano tabouret partitions se sont rapidement constitués en un radeau surmonté du ciel étoilé. J’ai trouvé sur le parquet ces sortes de traces que l’on devine figurer des personnages ou des marques que l’on apprivoise et croit comprendre et pouvoir suivre. Ce sont elles, ces marques, ces figures, que l’on entend encore murmurer des noms, vous redonner l’envie de l’aventure.

Hélène Duclos, aquatinte rehaussée à la gouache sur BFK Rives – 13×18

3 réflexions sur “

  1. Les mondes que vous nous faites découvrir, René, s’affranchissent tant tellement des limites de votre chambre/box. Trépignement d’une imagination nous offrant images hors sentiers et à brides abattues.
    Merci de nous laisser vous accompagner dans vos si belles randonnées.

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  2. Je m’arrête juste sur cette phrase (après mon accord total avec ce que dit Jacques Grégoire… et la pensée à « voyage autour de ma chambre » de Xavier De Maistre)
    « L’étrange côtoiement que cette rencontre que tant de pas, tant de ponts de pierre, de bois, de fer, tant de mots n’entament jamais. » me résonne très fort dans la caverne.

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