
Je suis toujours sur ce ragtime qui ne ressemblait à rien au début, me paraissait impossible à articuler, dégingandé par la nature même de son titre, et l’indication « gaiement et rythmé » n’arrangeait rien.
Comme je déchiffre la plupart du temps des partitions dont je n’ai jamais entendu la musique, c’est franchement laborieux.
Au bout de trois semaines je commence à le mettre sur ses pattes, mais non sans m’épuiser facilement, et me décourager, disons-le. Je tourne le dos au piano comme si, inconsciemment, je ne voulais plus le voir. Je pense que je finirai peut-être plus vite que je ne le croyais par donner ce piano à ma petite-fille, je n’ai plus l’énergie de tout mener de front, après tout, je ne suis pas doué pour le piano malgré mon désir, ou plutôt je suis irrémédiablement ralenti par l’âge.
Mais quelque chose dans ma chair prend ombrage, frissonne… j’abandonnerais lâchement mon cheval ?
Je vais marcher. Certes je vieillis mais j’ai encore un compagnon. Je suis contraint de marcher à pied mais lui, reste à la maison. Il me faut maintenir au moins la situation.
Je le retrouve noir et luisant comme un poulain. Et nous repartons au petit trot fantasque du ragtime. Les grands arbres vus dans ma promenade se libèrent de moi et lui volent dans l’encolure. Ce n’est pas du travail, ça non ! Je crois que le mot vient d’être banni pour toujours !
Hélène Duclos, Codages perceptifs #1- 2021 – huile sur toile – 46×55 cm