
Monsieur Nuit est sorti des mains de ma petite-fille. C’est plus extraordinaire que ça n’en a l’air.
Si on me disait : Quel jeu joues-tu ? alors que je suis en train d’aller banalement chercher mon pain, poster une lettre ou vider la poubelle, je n’en serais pas plus étonné. Il y a des choses qui se passent complètement invisibles, indécelables sur le dos des autres (choses), dans leurs poches, comme l’ombre portée passe devant, derrière, sur le côté lorsque vous marchez. Il circule en plein jour, à l’air libre, non pas des fantômes, des lutins, des personnages inventés de bandes dessinées, mais ce… [quoi ? ] tout d’un coup entre les mains de ma petite-fille c’est un monsieur Nuit en argile rouge dans un tout petit pot de terre avec des feuilles vertes et dorées plantées dans la tête et des yeux d’un bleu d’azur profond et malicieux, un cadeau qu’elle me fait le plus naturellement du monde, fabriqué par ses soins où, quand, comment ? comme ça, comme tout ce que l’on fait, aller à la boulangerie, arroser le pied de romarin. On a des pensées qui nous échappent, à tout moment, d’autres qui nous arrivent, et monsieur Nuit dont on espérait vaguement des nouvelles est dans votre main, sourire en coin. Tu es vraiment mignon, je ne lui dis pas, mais il l’a entendu. Pose-moi là au milieu de la table ! Pour qu’on puisse le voir, de face et de profil, de dos, roulant des joues, papillotant des yeux. Vous êtes plus beau que laid, plus parfait que raté. Je te chanterai bien une chanson, écoute ! A Paris sur un cheval gris ! A Nevers sur un cheval vert ! A la Bastille tu m’apportes des pastilles… Je suis enrhumé cache ton nez dans tes fesses… ça dégénère toujours avec monsieur Nuit.
Il y a une cloche qui passe, quatre petits coups un peu fêlés, c’est le bus, plein de collégiens. En même temps c’est la corneille criarde. Je glisserai ça si je peux à l’oreille de mon cheval, ou le laissera-t-il rouler aux pieds de son poulain ? De bon matin, j’ai rencontré le train, chantonne monsieur Nuit.
Photo personnelle, r.t