J’ai senti sous mes doigts une note qui rougissait — qui devenait heureuse, vivante. Et puis d’autres qui la suivent, chaudes, qui osent ressentir leur bien-être. Et celles qui restent silencieuses, celles que j’ignore, que je passe sans les voir, le doigt levé aussitôt enfoncées. J’ai senti tout ça. J’ai tout recommencé.
Je sens de la vie partout dans les notes, ce qui m’intimide. J’ai les mains dans des petites vies, serrées là comme dans des nids… Et mes yeux doivent en même temps regarder ailleurs : surveiller la partition, et quelle découverte ! (je m’en doutais) bien sûr la vie était déjà inscrite là, dans les notes, le petit corps tranquille des noires ne va pas sautiller comme les croches qui l’entourent, et ne bronche pas non plus aux bourrades des doubles-croches. A chacune elles font le rythme, le corps du lézard, qui ses pattes, de droite ou de gauche, qui sa tête ou a queue, sans quoi il refuse de vivre, de bondir. Ils sont une petite bande de lézards dans ce ragtime, se poursuivant, se séparant, « gaiement et rythmé », comme indiqué ! Et je sens dans mon cerveau des petits lézards qui se réveillent, émoustillés.

Une rafale de grosses gouttes se jette contre la fenêtre. Dans l’éclat lumineux qu’elle projette je vois monsieur Temps entouré de nymphes et de jeunes mâles cascadant comme dans une vague de surf. Il a son costume gris impeccable, elles et eux sont vêtus de leur peau ruisselante de lumière et d’eau. J’entends leurs rires dans une fouettée de vent qui tout emporte hors de la fenêtre.

L’intérieur est maintenant empli d’une chaleur palpable et savoureuse. J’ai l’impression que le soleil est entré.
J’écoute — non, je baigne, je n’ai jamais baigné ainsi dans la saveur d’une musique — un fruit, un fruit juteux de violons et violoncelles, les souvenirs de Florence de Tchaïkovski.

Hélène Duclos

2 réflexions sur “

Laisser un commentaire