Ce n’est pas un froid d’automne qui engourdit mes mains — elles écrivent, d’ailleurs, elles pourraient jouer, gravement — c’est autre chose, qui les durcit mais ne les affaiblit pas, ne les immobilise pas. Elles sont en colère, d’une colère pesante, hagarde mais forte encore, elles sont noires comme le graphite de mon crayon. Elles veulent parler de la guerre. Elles veulent en parler.

J’avais une amie araignée il y a très longtemps, comment l’avais-je appelée (non pas Arachné, je lui voulais destin plus doux)… peut-être Pénélope ou Philomèla… Elle est revenue, depuis quelques jours je la salue gentiment le matin quand j’ouvre le fenêtron de la salle de bain dans l’angle duquel elle a fait sa toile, très fine, presque une poussière, car elle est toute fine elle aussi, à peine visible, comme un filament de cristal dans l’ombre. Ma main la frôle presque en tirant le fenêtron qui vient lui apporter le courant d’air qu’elle affectionne, elle fléchit légèrement son corps fin.
J’aurai besoin d’elle pour tricoter la guerre encore là, de si loin, que j’ai dans les pattes depuis 1948 moi aussi, depuis qu’elle était revenue, changeant de camp après être repartie — besoin de toi parce que tu étais là, je crois, avant la naissance des hommes, avant la formation des doigts, avec tes pattes fines qui tricotaient. Le soleil entre maintenant, vient dans mon dos qui a moins froid, s’arrondit comme un paquet qui pourrait porter aux épaules les longues pattes fines pour tricoter, traverser le temps pour dire la guerre en s’enfuyant doucement, tout seul, comme toi, refusant de répondre à l’offensive des patries, mais tissant patiemment le manteau, chaleureux, le nôtre à tous.

Hélène Duclos, peuple en exil, 6 – huile sur toile – 54 x 65 cm, 2011

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