Je me contenterai du cheval-piano et ce sera terminé. Je le sortirai — ou il me sortira — pour une promenade. Tous deux nous ferons un peu d’exercice qui sera un plaisir partagé, plaisir du bon air, du soleil, des allées d’ombre, des petits ou grands obstacles, ceux que nous réussirons à franchir et ceux qui nous arrêteront. Nous apprendrons à coordonner nos souffles, nos corps si différents, quatre pattes martelant, touchant, affleurant le sol, deux mains deux pieds s’écartant se rapprochant pianotant prenant appui touchant la pédale de temps en temps.
Mais pour l’heure je peine. Il se lance sous mes doigts, toujours partant, déjà caracolant, donnant l’allure au premier temps et je m’en veux de le lâcher, de fauter presque aussitôt tandis qu’il doit ralentir, oublier son élan, discrètement, sans un reproche. Je ne connais ni le pré, ni le chemin, ni l’ombre et la lumière que font les branches sur le clavier, j’y suis pourtant déjà passé cent fois mais le jour change, la saison prend une autre lumière, les oiseaux ont investi d’autres routes, d’autres maisons, d’autres plumages. Le seul chemin que le piano connaît très bien est le poil frémissant du cheval, sa musculation rassemblée, harmonieuse, sa chaleur mobile et généreuse, le seul chemin des sens, à mi-hauteur de la terre et du ciel.
Il m’y invite. Mais je ne suis pas tout à fait prêt à le prendre pour ce qu’il est, un compagnon de promenade, qui sait se faire à mon jeu, m’étonner, qui me laisse essayer mes audaces. Un peu comme pour l’enfant est son cheval de bois.
En attendant je serre monsieur Temps et monsieur Nuit dans mes poches, ils me sont indispensables l’un et l’autre. Je me tiens entre leurs deux univers qui m’intimident mais me gardent leurs promesses.

Afifa Aleiby, Carrousel, huile sur toile, 125x100cm, 2022

Une réflexion sur “

Laisser un commentaire