
Le crayon a retrouvé sa feuille de papier habituelle, mais il a fort envie de s’émanciper. Écrire des mots les uns à la suite des autres, attendre que monsieur Nuit les disloque, les digère et leur permette de doucement descendre, se sédimenter, ou partir dans la danse de la rivière à n’en plus finir. Le crayon veut aller plus vite et le crayon s’invente un nouveau langage lui aussi, comme le pinceau. Il sait qu’il parlera tout autant en dessinant le labyrinthe de ses oreilles, que toute voix est bonne pour qui cherche à entendre, et que le monde n’a pas d’entrée ou de sortie où quelqu’un puisse parvenir en se criant vainqueur.
Qu’emporte-t-il le crayon dans sa course, de tout ce qu’il accepte ou choisit de prendre de mon désir informe, à quelle rive, à quel voleur va-t-il le céder ? Ce joueur de monsieur Nuit va-t-il me laisser entrevoir de ces temps fabuleux, de ces métamorphoses…
Le journal de la rivière n’a jamais été aussi près de ma main. Pourtant ma main l’a écrit, et dessiné même, tant de fois, par-dessus la rumeur de la vie quotidienne. Nous sommes la nef des fous flottant sur l’eau, traversant les ponts, nous grouillons sur la terre sans parvenir à nous entendre. Je n’ai trouvé que ce recours à monsieur Nuit et monsieur Temps.