Monsieur Temps me laisse faire son portrait.
Il me regarde avec indulgence pendant que je me laisse imprégner de sa silhouette ou devrais-je dire de son esprit car, bien qu’il prenne la pose pour ne pas me compliquer la tâche, il n’en reste pas moins insaisissable : il épouse à distance mes mouvements, plutôt que je reproduise les siens. Et comme au piano, il précède toujours mon geste d’un infime élan.
Néanmoins, il n’est pas peintre et fait tout cela sans bouger, sinon par la luminosité, les couleurs, les reflets qui le traversent : cet esprit même qui le constitue. Et cela, sans que je sache comment ni pourquoi, détermine mon geste. Et je le peins. Et je le reconnais.
Je crois que le duo que nous faisions au piano atteint là — du moins en ces instants où je viens de comprendre que je le peignais — une efficacité plus évidente — ou, je devrais dire, plus visible. Tangible et non volatile comme la phrase musicale. Quoique son mouvement — le mouvement est sa nature même — soit inscrit dans la peinture. Cette coopération avec monsieur Temps, jusque dans l’atelier, ne laisse pas de me subjuguer, tout en me livrant à la fragilité de l’instant partagé.
