Forêt *

J’ai maintenant une forêt au pied de la maison. Et qui s’élève beaucoup plus haut. Les immeubles peuvent grandir, je peux être à New York, la forêt montera sa canopée très haut au-dessus de la ville, s’étendra bien loin de chaque côté par-delà les horizons.
Je l’appelais hier la forêt générative. C’est là d’où je viens, disait le Petit Prince en montrant le ciel étoilé. La forêt s’y dresse maintenant. C’est la forêt étoilée. Elle mêle sa nuit à celle de l’univers.

Sur chaque branche de chaque arbre il y a un ou plusieurs hommes-corbeaux perchés sur deux pattes et les bras dans le dos pour se donner l’allure de notaires et si on les secoue ils tombent, on voit alors que ce n’étaient que des tissus sans âge qui attendaient d’être libérés de leur passé. La forêt entière finit par tomber, une civilisation, peut-être plusieurs, à la fois. Le sol monte, les bactéries humaines, animales, végétales construisent leur habitat, à l’abri d’une nouvelle forêt qui s’élève déjà, plus verte, découverte par la chute de la précédente. Hannah fouille, reconnaît le processus du patriarcat de vie et de mort qui toujours domine, par familles ou groupé en tribus. Elle repère la naissance de la philosophie, qui dans la polis revendique la parole comme puissance des hommes, entre eux, toujours. Leurs forêts s’abattent les unes les autres, celle des familles et celle des philosophes — de la parole dominante, insidieuse — jusqu’à nos jours, mais celle du patriarcat des familles n’a pas dit son dernier mot et les deux branches s’emboîtent, s’hybrident, se répandent dans le social où nous sommes les rats, les insectes, les humains sans autre existence bien certaine que celle des séries, des romans.
Je repousse les pages où vient de s’épancher le crayon. La forêt se replie. Je disparais, comme me l’a montré monsieur Nuit.

Pierre Boncompain, Washington square

2 réflexions sur “Forêt *

  1. Monde terrible que celui que tu nous donne là
    en mouvement
    croissance et dégénérescence.
    Heureusement que Monsieur Nuit vient
    apaiser (?)
    avec les moyens qu’il a.

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  2. c’est tellement juste… et terrible à la fois

    beau ce début… et j’adore avoir une forêt au pied de ma maison, et j’ai la chance que ce soit la vérité, raison de mon exil loin des villes

    j’aime beaucoup la composition texte / image, très beau ensemble

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