Les loups

Il a l’impression que sa jambe a été écrasée ou coincée sous un arbre. Il ne peut pas dormir dans cette forêt sans repos où la lune a déjà tourné plusieurs fois autour des cimes, les soldats violé plusieurs quartiers, plusieurs villages pillés, non sans bavures, meurtres. Je me suis souvenu. Puis les prisonniers ont eux-mêmes enduré les sévices de l’autre armée, les autres violeurs rentrés, les autres tortures perpétrées, les charniers recouverts, découverts. Elle me raconte son viol sur la table de la cuisine remplie de soldats, son bébé qu’elle a poussé sous la table implorant détruite qu’il ne bouge pas, ne crie pas. Les autres revenus, l’autre armée, les autres violeurs, tueurs, incendiaires. Certains ne savent plus parler, aucun ne sait plus vivre. Son jeune marié resté figé contre un arbre sans rentrer dans la maison. Sauvé, à moitié. Je fais les mêmes chemins plusieurs fois sans me reconnaître, entre les souches, sans savoir ce qui n’est pas dit. Où vont les souffrances tues, cachées pour la sauvegarde des enfants, des femmes, des hommes, de ce qui reste d’elles et eux. Une nuit à parcourir la forêt et comprendre qu’il n’y a pas de paix possible, jamais, seulement dans les rêves.
Nous sommes le rêve, revenant comme le matin, surgissant comme le ruisseau, dans nos corps de mémoire et de nuit. Le jour ne veut pas se lever, pense-t-il, impatient, après une nouvelle chute dans le sommeil. Je sais que chaque nouvelle armée reconstituée est plus aveugle et brutale. Il reste peu de place pour les esprits de la forêt. Je doute que ce soit eux qui me rongent les jambes, pourtant le crayon qui les poursuit les apaise. Je voudrais croire aux loups, écrit-il.

Alexandre Hollan, Le Grand Chêne du Val Perdu

4 réflexions sur “Les loups

  1. Terrible est aussi le mot qui me venait aux lèvres-plume
    Le barbare civilisé est pire que … je n’ai pas trouvé d’animal pour cette comparaison
    … peut-être le poux suceur de sang mais qui lui le fait sans cruauté.
    certains peuples sont une femme qu’on viole.
    Un texte qui, comme la réalité, fait mal.
    On a longtemps évoqué la honte de Munich
    elle est peu de chose à côté de cette autre honte bue
    ce laissez … fer.

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  2. Dans les périodes terrifiantes, chaque jour plus incertaines, les mots frappent et se combinent à nouveau pour décrire ce que l’on ne voudrait pas. En te suivant texte après texte, je vois l’obscurité gagner malgré les tentatives de déchirer encore les voiles pour retrouver le ciel bleu.

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