Le chagrin ne veut pas m’en dire plus. La guerre voudrait m’en dire plus. Mais elle attend. Elle ne dit rien. Je ne sais pas ce qu’elle attend. Je comprends qu’elle ne veuille rien dire. Elle veut encore tout sauver. Alors que tout est déjà perdu. Mais je survis — c’est presque comme si je n’avais pas commencé à vivre.

C’est la nuit. La nuit est très calme. Le début de la nuit. Le ciel est injecté de noir et lavé de lait bleu clair à l’horizon parcouru de mèches d’encre. Le modelé un peu rosé de la masse de nuit disparaît et c’est un ballot noir compact d’une hauteur considérable qui pèse de tout son poids sur le filet de ciel bleu gris qui s’assombrit. Elle ne parlera pas. Elle est exténuée. Elle est en-delà de toute force — non encore envisageable, non encore revenue… Le monde est encore mort-né. Il n’y a pas eu de parole, encore. Les éléments s’éteignent, sombrent, se bouleversent, s’enflamment sans nous. Nous sommes encore des nébuleuses. Les humains ne sont pas pour demain, ici, dans le ciel.

Il faut laisser le temps aux galaxies. Regarder en l’air. La réponse va prendre son temps à venir. En attendant, efforçons-nous de vivre sans. Sans nous croire adoubés par les puissances de l’univers. Nous sommes juste des observateurs. Nous avons cette place inédite de pouvoir observer et tenter de comprendre le mystère.

C’est comme si elle avait déjà tout dit, c’est pour ça qu’elle ne dit rien. Elle : oui, c’est une femme, c’est une mère. Elle sait ce que c’est de laisser partir son fils à la boucherie. Elle en est devenue muette. Elle s’est arraché la langue. Elle a jeté au feu le voile, le hijab, le sac de pénitence. Elle a osé être regardée.

Ils continuent de parler comme si elle n’était pas là, de raconter leurs exploits, comme s’ils ne l’avaient pas jusque dans leur corps, à les agacer, à les turlupiner. Elle est redescendue dans le sac de monsieur Nuit.

De ma fenêtre je vois les falaises du Vercors. Des carbonates de micro-plancton. Je ne sais pas si tu te rends compte de ce que ça fait en millénaires, des carbonates de micro-plancton déposés au fond de la mer. Et voilà la mer retirée, les montagnes érigées, cassées, les humains tombés de la dernière pluie, assez intelligents pour comprendre.

Tu es vivant, je suis morte. Tu me gardes dans ta mémoire et ton imaginaire. Je suis vivante, tu es mort. Mais qu’as-tu compris, au juste ?

La guerre, de Henri Rousseau

5 réflexions sur “

    1. Qu’entendez-vous par « C’est  » ?
      Qui elle touche, personnellement ? Si elle existe dans l’environnement où vous vivez…
      Ou votre interrogation signifie-t-elle qu’on peut douter de son existence, ou suggérez-vous qu’il reste à nommer ce qui n’est pas reconnu comme tel, autrement dit quelle est l’étendue, quel est l’empire (ses racines, ses prolongements) de la guerre ?
      Vous soulevez bien des questions. Merci.

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  1. « il reste à nommer ce qui n’est pas reconnu comme tel, autrement dit quelle est l’étendue, quel est l’empire (ses racines, ses prolongements) de la guerre ?« 
    oui, à l’intérieur de chacun de nous est semée et arrosée la semence de guerre.

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