C’est compliqué, une vie.

Je les rencontre de plus en plus souvent, mais ils m’ignorent et rentrent dans l’ombre des murs si je les croise, on les dit comptables ou intendants, ce sont de très discrets bourgeois, ces messieurs Quatrecôte.
Ils s’interposent, de temps en temps, ils semblent les gestionnaires d’une énorme maison, d’un palais de justice, qui nous concerne tous, l’espace public. Quand ils se mettent en avant, toujours muets, sobrement (et sombrement) vêtus, on est en alerte. Il y a peut-être quelque chose de préjudiciable à notre encontre. Ils mettent les lieux en travaux. Ils peuvent vous requérir. Il faut changer ses habitudes, les éviter, les contourner. Mais ils allument les feux, ils vous font sentir l’odeur de la braise. J’ai vu les messieurs Quatrecôte, dit-on. Où ça ? Mon père et ma mère adoptaient des voix qui n’étaient pas les leurs, pour en parler, toujours brièvement.
Grièvement, un mot que je ne connaissais pas, ou que je ne voulais pas connaître. Grièvement blessé.
Voilà ce qu’ils nous apportaient, les messieurs Quatrecôte, si on les voyait de trop près. Les angles auxquels on se cogne — ou on se blesse. Alors on gère ces petites ou vives douleurs en sachant que les messieurs Quatrecôte sont là-derrière.
Ce matin je suis allé dans la nature, dans une vaste clairière. J’ai tenté de laisser pénétrer le soleil jusqu’à eux. J’ai parlé au premier petit oiseau du matin, haut perché, aux arbres. Ils m’ont offert d’entrer un peu plus avant chez eux. Intimidé, j’ai partagé le soleil qui baignait le front de leur domaine.

Peinture de Victor Brauner

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