Tandis que, le nez dans son livre — la tête plutôt, tout le contenu de la tête, débordant même dans les épaules, la poitrine, jusqu’aux jambes qui le rappellent à l’ordre, s’impatientent, veulent s’échapper, ce contenu lourd, rampant et volatile à la fois : mots, rythmes, phrases — dans son livre où semble de plus en plus, à mesure qu’il vieillit, vouloir se réfugier la vie, ce qu’il lui reste de vie, il ne parvient pas à trouver une place, à s’arrêter, habiter quelque part, un endroit à partir duquel il pourrait continuer à explorer l’ici, les alentours, le pourquoi, le comment, vivre, enfin, c’est-à-dire s’interroger jusqu’à la fin sur ce phénomène de se trouver là, comme déposé provisoirement sans aucune explication au cœur du plus beau des cadeau dont on puisse rêver mais le plus instable et le plus insécurisant.

Une fourmi minuscule se promène sur sa main, qu’il voit mais ne sent pas. Une autre bientôt pique sa jambe nue. Il voit aussi à ses pieds des abeilles qui butinent des fleurs de trèfle. Et puis des gens autour, des jeunes femmes, tendres et joueuses, en robes légères glissant souplement sur les corps, des fillettes presque nues à la peau de lisse chamois mouillé de soleil, déliées comme des lianes. Il sait, comme s’il le reconnaissait soudain, que c’est là que se loge et préfèrera toujours se loger la vie, et non dans les livres, dans ces petits corps de fillettes aux jeux d’oiseaux-kangourous sur la grande fontaine, dans leurs sourires, leurs grimaces, dans leurs corps de faunes, entre leurs cuisses fuselées qu’ont mouillées les jets d’eau. Mais, de cela, il recueille tout de même quelques mots pour le livre.

Bengt Lindström, The poet, 1967

3 réflexions sur “

  1. à la lecture de chacun de vos textes , on repart plus riche de mots et d’images , les vôtres et ces souvenirs enfouis qu’ils font renaître en nous

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