
J’avais beau en avoir déjà une sorte de préconscience (je l’avais éprouvé en tâtonnant la musique de Bach, par exemple) c’est un petit bouleversement que de sentir la musique qu’on a sous les doigts vous mettre en contact, furtivement, avec quelqu’un qui y est logé, que vous avez le temps de deviner, flou, derrière une porte, lointaine, qui disparaît mais dont vous avez la certitude qu’elle est apparue, qu’il existe, ce quelqu’un de qui procède cette musique, qui vous la tend, vous la propose, vous la prête. C’est une incroyable émotion pour le quêteur solitaire, nu dans son attente à peine avouée de cet infiniment autre qu’il ne sait ni nommer ni concevoir.
Vous ne saviez pas que par le piano seulement cela arriverait. Est-ce quelqu’un, ou est-ce Gustav Mahler lui-même, puisque c’est en jouant son air de la 1ère symphonie, d’après « frère Jacques », que cela m’arrive ? Je laisserai la question ouverte. Ce n’est pas une personne incarnée, ni un fantôme non plus, mais la relation est bien là qui se présente, ou se prépare, une relation d’amitié profonde comme on peut en connaître de bien réelles. Je n’aurai pas besoin de lui donner de nom, d’en faire un personnage, je le rencontrerai dans la musique.
Monsieur Temps enlève son costume. Oui, il est nu, de chair et de peau, sans façon il me remue dans les mains et les bras. Ce n’est pas du chiffon, c’est bien des muscles, ce sont les miens ! Il est des deux côtés en même temps, il passe par mon cou et ma tête, en moi chef d’orchestre, il tient partout. Je le sens maintenant aux épaules. Je sens que c’est maintenant seulement que je suis monté sur le cheval. Je ne suis plus à moitié installé, penché de côté, accroché à la bride.
Comment ai-je pu rester juché comme ça jusqu’à maintenant, ce corps qu’il fallait porter endormi sur mon dos, tout entier soutenu par monsieur Temps et le cheval ?
Voilà que Gustav Mahler le réveille avec ce frère Jacques à l’allure de marche funèbre, on ne pouvait rêver plus cocasse ni plus tendre.
C’est magnifique ce cheval qui vous meut et vous fait raccrocher le temps (le vôtre, celui du compositeur) en une relation neuve qui s’apparente à l’amour !
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(Adèle N.)
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ah ! l’effet de la musique sur nous autres et sur les animaux… et très bien écrit ce bouleversement, cette émotion unique, et ce je ne sais quoi dans l’ombre… un oiseau, un cheval ? mais ne mettons pas de nom…
merci pour le rêve…
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