
Nous sommes des êtres sensibles. Mais au cours du temps notre façon de vivre nous a rendus de plus en plus insensibles.
Comme le fait remarquer Emanuele Coccia, « la vie sensible n’est pas seulement ce que la sensation éveille en nous. » Et je soulignerais ce en nous qui pourrait passer comme allant de soi et ne pas éveiller notre attention. Si l’on y regarde un peu on voit parfaitement que cette intériorité qu’on voudrait prendre pour preuve de notre sensibilité trahit exactement le contraire : l’autre face de l’intériorité ne tourne-t-elle pas le dos à l’extérieur ? Que penser de cela ? Nous sommes sensibles aux médias, ils nous informent de tant de souffrances, d’injustices subies par les autres. Nous fonctionnons en circuit court, nous en faisons – immédiatement, cette fois – un drame intérieur. De contact avec la vie extérieure, de relation avec l’autre, point n’est besoin pour mettre en route des effets intérieurs à nous-mêmes – notre sensibilité – que nous répercuterons peut-être dans la sphère médiatique.
A des degrés divers, nous subissons tous ces effets de civilisation. Nous sommes une humanité qui se referme dans ses villes, dans ses médias, qui s’aveugle et s’étouffe dans son écran de fumée.
Que quelques uns aient pris conscience de la situation renforce contre eux la réaction d’étouffement. Il semble que l’humanité n’avance pas sans la perversion.
Citation d’Emanuele Coccia extraite de La Vie sensible, Payot & Rivages, 2010
photographie Adèle Nègre