à l’écart

Cobb's barns and distant houses, 1931 aquarelle et crayon sur papier

Tout en lisant, je sentais la vibration souple et continue du train. J’entendais les soubresauts amortis, le roulement chuintant et ronronnant, et ma lecture nourrissait l’écheveau de ma pensée.
En même temps, j’étais averti d’une présence, toute proche. Quelque chose de vaste, très clair, et je le laissais vivre à part moi… Presque simultanément je lus dans le livre :

j’accède alors à la « transparence du matin »

J’abandonnais maintenant lecture et pensées pour ne plus que regarder le paysage qui défilait éveillé par le premier soleil. Sa présence m’avait gagné à la transparence du matin.

La citation est de François Jullien, extraite de
NOURRIR SA VIE / à l’écart du bonheur
Éditions du  Seuil, 2005

Aquarelle et crayon sur papier de Edward Hopper :
Cobb’s barns and distant houses, 1931

des Arts

Le Pont des Arts, 1907r

Je peux prendre des livres, des peintures, des objets, comme des fruits.
Je vois en eux, je vois en elles — ces diverses formes que prend le langage, qu’il soit parole ou art — les fruits d’une relation.
J’aime découvrir des fruits, des fleurs, des plantes, des insectes, des animaux tout autant que des ruisseaux, des montagnes, des horizons que je ne connais pas. Ces fruits, ces êtres, ces lieux, ces objets, ces sons, ces voix, ce sont des formes qui émergent et avec lesquelles j’entre — ou je suis immédiatement — en relation.
De cette relation je fais quelque chose à mon tour, je forme un fruit, comme un fruit de l’amour — un fruit de mon investissement dans cette relation. Ce sera une parole, ce sera un écrit, ou une peinture, une photographie, un mouvement de danse, un chant, une musique, un souffle d’admiration, de joie, ou un sourire, un rire (combien de fois le rire s’échappe-t-il de moi tout seul, sans crier gare, quel plaisir léger, quelle grâce ! Le chant des oiseaux est-il ainsi, parfois ?)

E. Hopper, Le Pont des Arts, 1907

liberté

Autoportrait, 1925-1930 huile sur toile, 64,1 x 52,4 cm New York, Whitney Museum of American Art

Je vous le dis, mon amie, les fantômes n’existent pas. Ce n’est pas que je leur dénie d’exister, mais c’est leur être fantôme que je dénonce : ils ne peuvent être nommés ni identifiés. Lâchez-les, si vous en avez dans vos fantasmes, alors leur liberté sera la vôtre.
C’est pourquoi ils ont des chaînes, c’est pourquoi ils font des bruits effrayants, comment tairaient-ils leur condition !
Lâchés, ils sont doux comme des anges, caressants comme le zéphyr, lumineux comme la neige. Ils sont aussi forts, montagneux, violets comme la mer d’un Vallotton, azur comme une pluie de Maurice Denis, et emplis d’expérience.

Edward Hopper, autoportrait 1925-1930